Seul un bruit de criquet parvenait à s'élever parmi les ténèbres de la nuit tombante. Les rayons de la lune dansaient sur le coton blanchâtre des nuages, qui cachaient mon ombre à peine perceptible depuis la terre ferme. Telle une tache d'encre s'effaçant rapidement sur une toile sombre, ma silhouette se faufilait agilement entre les nuages entassés. Elle coupait la route aux scintillements des étoiles les plus imposantes qui ornaient le ciel en une immense traînée argentée.

Mes yeux observaient vainement, par dessus les nuages, le dessin brillant que celles-ci formaient. Nul doute que ce soir s'avérait être le plus beau depuis plusieurs jours déjà, les étoiles n'avaient jamais étées si nombreuses dans le ciel. Posée sur un nuage, je les observais, pensive, pendant que le bruit de criquet qui juste ici me tenait seule compagnie s'estompait à petits feux. Une brise glaciale fit quelque peu flotter mes cheveux au gré du vent, pendant que le calme nocturne me poussa de nouveau à m'entretenir dans mes songes. La grande ourse que je connaissais n'avait toujours pas daigné réapparaître à sa position d'antan. Papa...

Cela faisait déjà plusieurs mois que je n'avais toujours pas témoignée de sa présence, et l'état de ma mère s’aggravait de jours en jours. De nouvelles nuits reposaient les villes, toutes aussi belles les unes que les autres, mais ce n'étaient pas celles que je connaissions, celles qui le guideront à la maison. Une nuit encore, j'allais retourner à Whitetail wood, lui répéter le même discours pour essayer de lui refaire reprendre espoir à son retour. Mais le mien aussi commence à s'épuiser. Je ne sais plus en quoi croire, ni en quoi m'accrocher. Je demeure seule depuis son départ, je n'ai jamais osé parler réellement à aucun poney. Non pas que je n'en étais pas capable, mais juste que mes songes étaient trop pris par mon travail acharné afin de financer les soins de ma mère. Maman est la seule chose qui me reste dorénavant...Ça...Et ma liberté.

Sur ces songes, mes ailes se déployèrent de nouveau, laissant apparaître toute leur splendeur à la lumière lunaire. Je me redressai sur mes sabots et pris une grande respiration. L'air était frais, comme chaque nuit. Pourquoi tant larmoyer sur mon sort ? La vie n'est-elle pas parfaite ? Les étoiles, la lune, et les quelques lumières qui brillent derrière les fenêtres des maisons... Tout scintille, tout est lumineux. C'est ce que mon père doit probablement se dire à cet instant ; tout ce qui nous entoure brille comme des étoiles, il n'aura qu'à suivre la lumière.

...La lumière...

Mes yeux fixèrent la lune alors que je commençai à gagner un léger élan afin d'entamer mon envol.
Mais au même moment, un nouveau bruit vint perturber le silence implacable que nous offrait la reine de la nuit. Un battement d'ailes, on aurait dit... Comment ça ? Un autre poney serait ici ? J'étais pourtant persuadée de m'être assez éloignée de Cloudsale pour ne pas me faire interpeller. On dirait bien que non...

Prise de surprise, mes sabots tressaillirent et me firent tomber du nuage où j'étais installée, me poussant à crier de façon assez stridente.

Je commençais à tomber en chute libre jusqu'à la pelouse de la terre ferme. Ce n'est que lorsque je vis le toit des maisons de Ponyville, portant toutes fièrement leurs cheminées fumantes que j'eus le reflex de réellement m’inquiéter. Voyant que je m'éloignais de plus en plus des nuages, je fis basculer mon poids en avant et commença à dresser mes ailes afin de les rendre parfaitement horizontales. Mes sabots s'encrèrent fermement sur le sol afin de m'assurer une réception plus ou moins réussie... En tout cas plus réussie que si j'étais tombée la tête la première, ça va de soi.
J’observai une dernière fois le ciel avant de constater qu'il y avait bel et bien aucun pégase qui chevauchait les nuages avec moi. J'ai due probablement m'être fait trompé par la nuit, cette fois-ci.

« - Raaah ! Punaise ! C'était moins une ! » m'écriais-je en m'ébrouant maladroitement sur la pelouse. Aucune tache de boue ne venait contraster sur mon pelage noir, je fus rassurée. Seulements quelques-unes venaient s'accrocher à mes sabots, mais je n'y fis pas attention.

« - V...Vous...Allez...Bien? »

Une voix masculine vint jusqu'à mes oreilles qui se redressèrent en choeur. Finalement, oui, il y avait bien un autre poney avec moi. Décidément...
J'étais à la fois heureuse et contrariée, car je n'étais visiblement pas la seule à apprécier la fraicheur nocturne. Je fis volte-face afin de voir mon homologue, puis rangeai mes ailes dans mon dos après quelques battements pour y faire fuir la boue qui s'était incrusté entre mes plumes.

Il s'agissait d'un jeune étalon, svelte et grand, aux yeux d'un cyan clair et scintillant de la même manière que sa crinière. Il se pavoisait d'une cravate élégante et d'un monocle sur l'oeil droit, qui, on ne pouvait le nier, il donnait une certaine classe. J'avais du mal à donner un âge sur son physique au premier regard, mais malgré son accoutrement droit et élégant, je le statuerais entre 15 et 20 ans. Surtout parce que je ne vois pas quelqu'un de plus âgé s'armer d'une voix aussi hésitante... Cela me fit d'ailleurs gagner un sourire, assez attendri.

« - Oui, je vais bien, merci. » dis-je d'un ton doux, sans vouloir le brusquer. « C'est vous qui étiez derrière moi tout à l'heure ? Vous m'avez fait peur, vous savez... »

J'avais quelques doutes sur ce que j'affirmais, les ailes de ce poney étant particulièrement  graciles, je doutais fort qu'elles puissent faire un battement aussi insonore que celui que j'avais entendu auparavant. Mais demander ne me coûte rien, après tout.

L'étalon avait reculé de quelques pas, ce qui dessina sur mes lèvres un léger rictus durant un très court instant. L'avais-je effrayé ? Il semblerait même qu'il ait voulu déployer ses ailes, mais a renoncé plusieurs secondes après pour une raison qui m'est obscure.
Je fis néanmoins de mon mieux pour ne pas quitter mon sourire, avant qu'il ne puisse me distinguer en enlevant d'un coup rapide de sabot la buée s'étant déposée sur son monocle. Un léger sourire sembla s'esquisser sur son visage l'espace d'un court instant, peu de temps avant que je ne prenne la parole. C'est après un léger moment de réflexion qu'il se décida enfin à m'approcher de quelques pas, buttant toujours quelque peu sur ses mots.

« - J...Je n'ai rien entendu... Ça devait être un pégase qui s'est amusé à vous faire une farce... Ou alors c'est pos...»

Ses yeux semblèrent vaciller soudainement de leur position initiale, comme plongés dans le vague d'une réflexion. Sa voix devenait peu à peu de plus en plus tremblante.

«- Ou alors peut...être m'aviez-vous entendu...Chanter. »

Chanter ? Cela m'aurait étonnée, j'étais persuadée d'avoir entendue un battement d'ailes. Ma tête bascula sur le côté, pendant que mon visage s'armait d'un air penseur ;

«  - Chanter ? Si c'est le cas, cela voudrait sûrement signifier que j'ai très mal entendue. Ce bruit ressemblait à tout sauf à une voix... Oh ! Mais attendez une minute ! »

Ma tête se redressa hâtivement, toute seule, parfaitement droite, tandis que mes yeux s'écarquillaient de manière étonnante. Mes oreilles s'étaient elles aussi redressées, comme aux aguets, et mes jambes étaient devenues tout à fait raides. J'avais tout l'air d'être surprise, et c'était bel et bien un sentiment proche de l'étonnement que je ressentais en ce moment. Ça, mélangé en un soupçon d’excitation et de fascination, qui se laissaient clairement voir par un léger scintillement au fond de mes pupilles lorsque mes yeux se reposèrent sur le poney. Ce scintillement, accompagné bien sûr d'un large sourire bienveillant et tout à fait jovial.

«  - Si vous avez soulevé cette hypothèse, cela voudrait dire que vous savez chanter ?... »

Un poney chanteur, l'air de rien, ça ne se trouve pas partout. Dans mon cas, je n'avais jamais eue l'occasion d'aller à un cabaret ou un opéra jusqu'à aujourd'hui. Les chansons, je les entendais juste de loin, par le son des radios qui se laissaient percevoir au-delà des portes des maisons. Donc, avoir un vrai chanteur en face de moi me faisait tout drôle, et j'avais bien l’intention de l'entendre souffler un bout de mélodie avant de reprendre ma route. Mais avant ça, faudrait-il commencer à  lui faire quitter cet effroi qui semble ne pas vouloir le quitter actuellement...

Enfaîte, plus la discussion battait son comble, plus le poney avait l'air de plus en plus tendu. J'avais comme l'impression d'avoir dit quelque chose qu'il fallait mieux éviter, cette fois-ci. Il frottait ses sabots nerveusement et semblait totalement paniqué. J'avais quelques difficultés à le comprendre... Cela avait le don de m'inquiéter un peu, certes, mais aussi d'attiser beaucoup ma curiosité.

«  - Je...Oui...Enfin...Non...Je... »

Oui ? Non ? Oui ? Non ? Mon visage bascula de nouveau sur le côté d'un air des plus interloqués. C'était comme si j'avais semé la confusion dans son esprit, tout cela mêlé à un léger soupçon de peur qui se laisser sentir dans sa voix. Ce poney ne devait sûrement ne pas aimer qu'on lui pose des questions... Ou bien était-ce le fait de chanter qui le stressait au plus haut point. Dans tous les cas, vu son état actuel, il valait peut-être mieux changer de sujet... Ou du moins le réserver pour plus tard. Pour une fois qu'il se passe quelque chose d’excitant dans ma vie, j'allais sûrement pas laisser cette occasion passer.
J'allais m'exclamer afin de parler d'autres choses, mais il le fit rapidement à ma place.

«  - Vous... avez faim ? »

Je le regardais fixement dans ses yeux bleutés. Il semblait s’efforcer de reprendre une respiration normale, après avoir essayé de prendre le premier prétexte venu pour changer de sujet, sur le coup de la panique. Un sourire étira mes lèvres... Je trouvais ça adorable. Je ne savais pas trop pourquoi. C'est comme si, au lieu de tout simplement m'envoyer bouler, il cherchait un moyen de continuer la conversation, et j'appréciais ce geste. Un petit rire jovial s'échappa de ma gorge, avant de laisser place à un grand sourire, toujours aussi lumineux que les précédents.

«  - Hé hé, je ne serais pas contre un petit coupe-faim, en effet ! Le vol m'a ouvert l'appétit. »

Je commençais à m'approcher de lui, un sourire bienveillant toujours présent sur le visage. Je faisais attention à ne pas me précipiter comme à mon habitude, afin de ne pas l’apeurer plus qu'il ne l'est déjà. Puis d'une voix douce et calme, je lui demandai sereinement ;

«  - Comment tu t'appelles ? »

Le jeune poney est alors parti chercher quelque chose avant de revenir vers moi. Il disposa sur une nappe à carreau qu'il avait emporté avec lui divers muffins et boissons qui firent pétiller mon regard. Un véritable goûter ambulant ! Je n'avais pas toujours le temps de manger des gâteaux, et pourtant Dieu sait que je suis gourmande. Il ne pouvait pas me faire plus plaisir qu'en me proposant ces gourmandises. Je me laissai tomber sur un coin de la nappe, des étoiles plein les yeux en observant les mets qu'il avait placés sous mon museau, sans vraiment oser y approcher le sabot pendant un petit temps.

« - Waaah ! Merci ! Ça a l'air délicieux ! » dis-je à la manière d'une gosse totalement émerveillée.

Au bout de quelques temps, l'un de mes sabots s’approcha vers l'un des muffins que j'observais de manière désireuse. Je commençais à le déguster doucement, pour bien profiter de son goût. C'est au même moment, le poney répondit ;

« - Je m'appelle Harmonic Prose, et vous ?
  - KYAAAAAH !! »

Mon dos bascula de quelques centimètres en arrière pendant que j'arborais une expression surprise. Mes sabots quittèrent mon gâteau et vinrent recouvrir ma bouche, comme pour retenir mon cri si soudain. C'est vrai quoi, il avait une voix tellement tremblante et hésitante au départ, et là elle s'est totalement métamorphosée en une voix grave, virile, et presque mélodieuse. M'enfin... je pense pas non plus que cela était une raison pour crier telle une écervelée et se mettre à le regarder comme un extraterrestre, mais quand même !
Je secouai la tête de droite à gauche afin de me remettre les idées en place et reprendre une expression normale, avant de lui sourire de nouveau.

«  - Ha ha ! Excuse-moi... Ton changement d'attitude m'a un peu surprise sur le coup... » Je me grattais l'arrière de la tête avec mon sabot de manière un peu gênée. « Tu as une voix si jolie... »

Je ne savais pas trop si ça se faisait de lancer un tel compliment aussi naturellement, mais c'était normal pour quelqu'un comme moi.
Suite à cela, je repris rapidement mon gâteau qui était tombé sur la nappe, faisant au passage quelques miettes. Après les avoir balayées d'un coup de sabot, je continuai d'un ton jovial.

« - Moi, c'est NightSky ! Mais tu peux m’appeler Night, ou Blue. » sur ces mots, je croquai un grand coup dans mon muffin avant d'ajouter « Num num ! Ces gâteaux sont trop bons ! C'est toi qui les as fait ? »

Suite à mon compliment, j'ai cru apercevoir un léger rougissement sur ses traits calmes et posés. Il souriait enfin, et ça lui allait très bien. Je préférais le voir avec cette expression plutôt que renfermé dans sa bulle. La vue de sa mine radieuse dessina un énorme sourire sur mon visage.

«  - Oui c'est moi qui les ai fait ! »

Sa voix demeurait fluide, il semblait avoir repris tout son calme et commençait à être à l'aise. Voilà un bon combat de gagné ! Une petite lueur victorieuse luisait au fond de mes yeux à ce moment précis.

« - Tu dois avoir un véritable don pour la cuisine alors ! Je n'ai jamais goutté quelque chose d'aussi bon ! » dis-je avec beaucoup d'enthousiasme.

Il ne me fallut que quelques bouchées afin de terminer ma dégustation, et très peu de temps avant de saisir un autre gâteau disposé sur la nappe.

«  - C'est gentil de partager avec moi les gâteaux que tu as préparé toi-même. Ils sont encore meilleurs que ceux que j'ai pu manger au Sugar Cube Corner ! » continuais-je d'un ton franc et sincère avant de lever les yeux vers le ciel nocturne, alors qu'un vent frai venait quelque peu faire flotter nos crinières bleutées « - Je suis souvent seule dans les nuages, je n'ai jamais eu l'occasion de discuter avec un autre poney sous un ciel aussi étoilé depuis longtemps... »

J'étais d'un coup plongée dans mes pensées... Je songeais encore à mon passé. Mon sourire a dû s’effacer quelques minutes lorsque mes yeux croisèrent la lumière de la lune...
Voyant que mes songes commençaient à se dissiper un peu, je baissai les yeux quelques secondes puis redressai les oreilles avant de tourner de nouveau la tête vers Harmonic.

« - D'ailleurs, ce n'est pas commun les poneys qui apprécient se balader aussi tard le soir. Tu n'es pas frileux ! » Ajoutais-je d'un ton ayant repris sa vivacité.

Il est vrai que je n'avais jamais vraiment rencontré d'autres pégases qui appréciaient autant que moi les balades nocturnes. J'étais très heureuse à la probabilité d'en voir un en face de moi. Peut-être pouvais-je espérer que l'on passe un peu plus de temps dans les nuages ensembles à l'avenir, s'il aime voler...
D'ailleurs, en pensant à cela, je me rappelai du moment où il avait tenté de prendre son envol lorsque je l'ai interpellé... Etait-ce l'hésitation qui l'avait retenu à terre ou bien... Autre chose ?

« - Je sais. Je préfère le calme de la nuit, voilà tout. »

Une explication simple, mais suffisante pour moi. Le calme nocturne est également une raison pour laquelle je suis si attachée à cette période, je pouvais alors le comprendre sans peine.
L'étalon s'était allongé plus à mes côtés, il avait l'air totalement détendu cette fois-ci. Moi aussi, je l'étais. Cette atmosphère avec lui me rendait paisible ; ce n'est pas le genre de poneys qui nous met mal à l'aise où nous force à être comme-ci comme-ça, je pouvais être moi-même avec Harmonic Prose, et j'en étais heureuse.

«  - Moi aussi... Je trouve le calme de la nuit agréable... »

Il me regardait d'un air assez préoccupé. De peur que son stress le regagne, je lui fis un doux sourire en l'observant d’œil à œil.

Un long silence commença à s'installer... Je réfléchissais à quoi dire, mais en même temps, j'appréciais cette absence de bruit que seul le vent venait brusquer en agitant le feuillage des arbres. J'avais des tonnes de questions à lui poser mais... Maintenant qu'il avait l'air tout à fait reposé, je n'avais pas envie de l'angoisser de nouveau. Son visage calme et détendu était des plus agréables à voir, cela m'embêterait de lui remettre la pression.
D'un côté... Comment se fait-il que certaines de mes questions le mettent dans cet état ? Il se pourrait qu'il ait quelques problèmes au fond de lui qu'il n'aime pas que l'on fasse resurgir... Et ça, d'un côté, je peux le comprendre... Mais j'ai tellement envie d'en savoir plus sur lui. Harmonic me rend curieuse pour ainsi dire, et j'aimais sa compagnie. Même mon silence semble l'angoisser... Le mystère qui entourait cet homme me mettait un peu dans l'embarras pour ainsi dire. Je ne savais pas comment, ni de quelle manière le cerner de sorte à ne pas le blesser ou lui faire peur.
J'observai de nouveau le ciel, en faisant la moue d'un air songeur. Puis me tournais de nouveau vers mon homologue.

« - Tu aimes voler ? Ça te dirait que l'on aille faire un petit tour dans le ciel ? »

Mes ailes commencèrent à se déployer machinalement. Comme je ne savais pas quoi lui dire, autant faire quelque chose ensemble. Et puis, je n'aime pas trop rester tout le temps assise au même endroit...

Après mon interrogation, le silence persista. Je commençais à croire que j'avais faite une boulette... Il restait là, à me regarder, comme plongé dans ses pensées... Je me demande ce à quoi il pouvait bien réfléchir à chaque fois qu'il arborait cette expression.
Mon sourire commença à disparaître... En réalité, son silence avait tendance à me rendre moi aussi, tendue. Mes ailes se rangèrent doucement, pendant que je me contentais de l'observer.
10 minutes...10 longues minutes passèrent, avant qu'il finisse par gonfler ses poumons d'air, comme pour se préparer au pire.

« - Je...ne peux pas. Je n'ai pas volé depuis trop longtemps, j'ai beaucoup trop de mal pour voler... »

Mes oreilles se baissèrent ensembles. J'étais figée, mon cœur avait comme fait un énorme rebond dans ma poitrine. Les ailes d'un pégase étaient quelque chose pour laquelle j'accordais énormément d'importance. Je n'aurais jamais su comment vivre sans mes ailes, je ne peux pas vivre sans voler. C'est ce qui me fait fuir la réalité écrasante que je trimbale derrière moi depuis tout ce temps, voler. Alors imaginer quelqu'un ne pouvant plus se servir de ses ailes, surtout quelqu'un que j'appréciais, c'était comme imaginer un ami en prison alors qu'il n'avait rien fait. Je trouvais cela injuste et immonde, et cela me touchait sûrement beaucoup plus que n'importe quel autre poney.
Je pris ma respiration à mon tour, afin de calmer les tremblements qui commençaient à gagner mes genoux, puis me leva. Je regardais Harmonic Prose dans les yeux, de façon déterminée.

« - Harmonic... »

Mon ton était devenu à la fois doux et extrêmement ferme. Peut-être ne me comprendra-t-il pas, mais voler est un acte symbolique très important pour moi, et je détestais l'idée de me dire qu'un de mes amis serait enchaîné au sol. Et surtout, il semblait en souffrir... C'était le genre de choses qui étaient justes insupportables pour moi. Je m'approchai de lui fermement puis lui parlait d'un ton décidé, ce ton qui fait comprendre que quoi qu'il dise, quoi qu'il fasse, il ne me fera pas changer de décision. Mais aussi... Il avait ce soupçon de calme et de douceur, cette petite intonation que j'avais placée là uniquement pour le rassurer.

«- Je sais que ça risque d'être dur, et douloureux, mais si tu ne déploies pas tes ailes, elles te feront toujours de plus en plus mal...» je baissai la tête d'un air un peu sombre, mais à la fois très sincère « - Et...Je ne veux plus que tu aies mal... Je veux voler avec toi... »

J'avais horreur quand mes paroles traduisaient instantanément mes pensées de la sorte, surtout avec les personnes que je venais de rencontrer. Je ne voulais pas qu'il sache ce à quel point je peux m'attacher si rapidement à quelqu'un... Mais j'avais quelque chose au fond de moi qui avait confiance en lui, je n'arrivais pas à savoir pourquoi. Je n'arrivais même pas à savoir de façon concrète ce que c'était, mais c'est peut-être à cause de ça que je ne serais jamais satisfaite si je m’envolai seule dans le ciel à cet instant... C'est peut-être horriblement égoïste, je sais... Je m'en voulais... C'est pour ça que j'avais du mal à le regarder dans les yeux en disant ces paroles.

[ Non non, je proteste, il n'y a pas de l'amour dans l'air.   //mur//]

Harmonic Prose commençait à rougir, à rougir beaucoup. J'avais un peu peur de m'être trop emporté, mais d'un autre côté, j'étais heureuse que mes paroles l'aient touchées.

«- Je...Je veux bien faire des efforts, et essayer de voler avec toi... »

Je veux bien faire des efforts... Ce genre de mots avaient tendance un peu à me chambouler... Moi qui venais de lui demander quelque chose de si égoïste au final, il a malgré tout accepté de se faire mal, de ressentir de la douleur afin de voler à mes côtés. Qu'est-ce que je lui ai fait, en fin de compte, à part lui donner quelques compliments et quelques sourires ?  Si cela lui suffit pour faire un tel geste, ce poney s'avère bien plus profond et généreux qu'aux premiers abords. En tout cas, à mes yeux,  cet effort s'avérait juste incroyable...
Et puis, ce n'est pas tout, mais ce n'est pas la première fois qu'il a l'air d'affronter ses peurs lors de cette discussion...
Un sourire se dessina sur mon visage, un sourire noyé d'émotions diverses, pendant que mes ailes se déployaient doucement de toute leur largeur.

« - Merci. »

Ma voix était presque tremblante, comme si je fondais intérieurement. Je n'aime pas cette expression, mais pour le coup, elle est assez représentative. C'est à peine si mes joues s'empourpraient tellement j'étais touchée.
J'approchais alors de quelques pas du pégase, de plus en plus prés, puis posai mon sabot sur son aile droite, extrêmement délicatement. J'avais plus que peur de lui faire mal, c'était comme si je me crispais à sa place... Le bleu de mes yeux s'enfonca dans le bleu des siens, pendant que mon deuxième sabot se posait sur sa deuxième aile.

«- Ça va aller... » dis-je d'une voix douce et calme «  Respire...Doucement... »

Je parlais pendant que petit à petit, mes sabots soulevaient ses ailes, afin de les déplier. Je faisais exprès de rendre mes gestes très doux, afin de lui faire le moins mal possible. Tellement que mes sabots effleuraient à peine ses plumes.

Il avait beau tenter de sourire, ses larmes tombèrent malgré tout sous le poids de la douleur. Tellement qu'il lui arrivait de pousser quelques légers gémissements, si retenus que cela semblait au départ être des chuchotements. Le fait de le voir verser des larmes devant moi me bouleversait tout en crispant chacun de mes muscles... Il avait alors confiance en moi jusqu'à accepter de se montrer dans cet état ? Accepter de se faire du mal, et cela jusqu'aux larmes ? Cela avait beau m'honorer, au fond de moi, je ne pouvais le supporter. Ce n'était pas ce que je souhaitais... En réalité, mes sentiments étaient tellement contradictoires.
Mes sabots quittèrent hâtivement ses ailes, j'allais m'apprêter à lui dire d'arrêter, de laisser tomber... Pourtant, avant même que je ne m'apprête à hausser la voix, ses ailes étaient dépliées. Il se mit à les brandir, puis à les agiter courageusement. Il s'élevait au dessus du sol, le visage presque crispé par la douleur... Incroyable... Mon cœur palpitait, mais je serrais les dents. Même si j'avais atrocement peur, j'avais cet espoir qu'il parvienne à s'envoler...
Néanmoins, il vacilla et vint se heurter contre un arbre. J'étais sur le point de crier en le voyant chuter, m'apprêtant à courir au galop à son chevet... Mais avant même que je ne puisse bouger, il était déjà debout, sur ses quatre sabots.  J'étais figée, c'était à peine si j'arrivais à respirer. Je ne trouvais qu'à lui chuchoter tout bas divers mots d'encouragement. C'était un peu comme si je me parlais à moi-même en même temps, que je me persuadais qu'il allait y arriver. Il s'envola une deuxième fois, mais il se blessa de nouveau...

«- Harmonic ! » Criais-je, la voix baignée d’inquiétude.

Non... Il s'était de nouveau relevé. Les yeux larmoyants, les jambes tremblantes et le visage taché de sueur, mais il y était parvenu. Il refit bouger ses ailes, une fois encore, déterminé.
Harmonic... Arrête... Je n'en pouvais plus, c'était à peine si j'étais moi aussi au bord des larmes à ce moment là. Il souffrait tellement, se donnait tellement de mal, je ne pouvais pas me permettre de le laisser faire ça. Je ne le supportais pas... Mais mes sabots refusaient de réagir à mes ordres afin d'aller le retenir. J'étais là, les yeux de plus en plus ternes, à prier intérieurement à chaque fois qu'il se réenvolait de nouveau...
Il réessaya, encore, encore, encore... Ses ailes étaient souillées de terre, ses genoux parsemés de bosses, son crâne était à la limite de saigner après ses chutes répétitives, ses larmes coulaient en grand nombre sur ses joues et sa respiration était si forte que l'on aurait dit ses poumons enfermés dans un étau.

« - Je...J'abandonne...Je n'y arriverais jamais... »

Je baissais la tête, tout en respirant de toutes mes forces... Je ne savais pas si ces paroles me décevaient ou me rassuraient du plus profond de mon être. Je commençais à m'approcher de lui, lui souriant tendrement, comme pour lui dire qu'au fond, c'est sûrement mieux comme ça...
Mais...

«- Der...Nier...Essai...
- Non !! Harmonic !! »

Il se releva, déplia ses ailes, et s'apprêtait de nouveau à s'envoler.
Je courrais vers lui au galop, sûrement le plus rapide que j'eus jusqu'à présent, et criais de toutes mes forces ;

«- Arrête ! Tu vas te tuer !! »

J'ai crue que mon rythme cardiaque s'était littéralement arrêté. Ses sabots commencèrent à décoller du sol... Je me suis mise à crier de rage tout en fonçant dans sa direction, terrifiée à l'idée de le revoir tomber.

Pourtant... Il était là... Il battait des ailes, doucement, gracieusement, et persistait dans les airs... Ses mouvements célestes faisaient penser de près à ceux d'un oiseau, qui s'élevait doucement dans le ciel. Il ne tombait pas à la renverse, il montait de plus en plus haut... Mes pas se ralentirent pendant que je l'observais prendre de l'altitude... Il volait.

« - Night j'y arrive ! C'est génial ! »

Je sentais une larme rouler doucement le long de ma joue... Une, puis deux. Elles avaient demandées à sortir depuis bien longtemps déjà mais maintenant, ce n'était plus de l'inquiétude qu'elles exprimaient...

«  - Harmonic ! Ça y'est ! Tu as réussi ! Tu voles ! » Criais-je joyeusement tout en le rejoignant dans les airs. Ma voix était vibrante tellement j'étais émue.

Je lui fis le plus grand de mes sourires, un sourire lumineux, probablement le plus joyeux que j'ai pue avoir jusqu'à présent. Je calai délicatement ma tête au creux de son cou, tel une étreinte afin de le remercier. C'était la première fois que j'étais témoin d'un acte aussi courageux...

« - Merci infiniment... » Murmurais-je.

«  - Merci à toi aussi... Tu veux faire quoi Night ? »

Mes oreilles se redressèrent ensemble. Mon air songeur ne s'éternisa pas longtemps cette fois-ci ; je savais très bien l'envie qui bouillonnait à l'intérieur de moi à ce moment précis. Je lui fit un grand sourire, et me mis légèrement à rire, afin d'évacuer un peu le trop-plein de joie qui s'était accumulé tout à l'heure dans mon esprit. J'essuyais mes larmes d'un petit coup de sabot, avant de saisir l'un des siens.

« - Viens ! Suis-moi ! » Dis-je d'une voix ayant reprise toute sa joie.

Je m'élevais de plus en plus au vers les nuages, tout en l'invitant à me suivre en le tenant par le sabot droit. Je faisais très attention à ne pas aller trop vite, pour lui qui venait tout juste de reprendre le contrôle de ses ailes. A nos rythmes, nous prenions doucement de l'altitude, les étoiles brillantes à la pleine lune devenant peu à peu notre seul environnement...
Une fois arrivée aux niveaux des nuages, nous nous posâmes tous deux vers celui le plus proche, assez large pour deux poneys de notre carrure. Il était si doux qu'il caressait nos sabots comme du coton. J'adorais les nuages, je ne pouvais pas dormir ailleurs, personnellement. Il ne me fallait pas longtemps pour prendre mon équilibre dessus, étant une grande habituée de ceux-ci. Je m'allongeai près de son bord avant de jeter un regard vers l'horizon...

«  - Waaah... »

Mes yeux devenaient parsemés d'étoiles... D'aussi haut, nous avions une magnifique vue de tout PonyVille, éclairée par les lumières du soir, et même de la montagne de Canterlot. C'était absolument magnifique... Même si j'étais toujours entourée de ce genre de décors nocturnes, celui-là me plaisait tout particulièrement... Peut-être parce que ce soir là n'était pas vraiment comme les autres, que ce soir là, j'avais envie de profiter de ce qui m'entourait, de jouir de la beauté des paysages et de la douceur des nuages... Peut-être parce que ce soir là, je n'étais pas seule.
J'ai tournée la tête vers Harmonic Prose, avec un sourire radieux, tout en lui faisant un petit signe de la tête afin de lui indiquer de s'approcher davantage.

«- Viens voir Harmo' ! Regarde ce que ça fait de voir le monde plus haut !»

«  - Je...Pourrais chanter si tu veux. »

Je retournais mon regard vers lui, les oreilles dressées et les yeux soudainement tous pétillants. Mon grand sourire pouvait facilement exprimer mon accord. Enfin ! J'allais l'entendre chanter de sa voix si puissante... Mes yeux papillonnèrent d'excitation face à la nouvelle, pendant que je me tournais vers lui, coudes sur nuage, chacun de mes sabots sous mon front, les pupilles brillantes de curiosité.

«  - Tu connais les Poneyphoniques ? Ils chantent merveilleusement bien. Je connais leurs musiques par cœur ! »

Les Poneyphoniques ? Non, ça ne me disait rien. Il faut dire que je n'avais jamais mise les pieds dans un concert ou un cabaret. Écouter quelqu'un chanter était un luxe que je ne pouvais pas goûter facilement, mes journées entières étant prise par le sommeil, et les nuits par le travail. C'est d'ailleurs pour ça que je frémissais d'impatience de l'entendre chanter une chanson...

Il fredonna quelques sons mélodieux, des notes enchaînées par sa voix grave et douce à la fois, qui raisonnait presque en écho dans le calme de la nuit. Je ne bougeais pas, à vrai dire, j'étais plaquée contre mon nuage, à tenter de faire le moins de bruit possible afin de l'écouter. D'abord impressionnée par ses premières vocalises, ma tête et ma queue se mirent à dandiner en rythme à partir du deuxième refrain. Au bout du troisième, je commençais à fredonner quelques notes avec lui, tout bas afin de pouvoir pleinement entendre sa voix de ténor si mélodieuse et intimidante à la fois.
A la fin de son chant, il se tourna vers moi avant de me demander de sa voix calme ;

«- Tu as aimé ?
- VOUIIIIIIIIIIIIIII ! Et comment ! C'était magnifique ! » Répondis-je dans la seconde qui suit avec beaucoup d'entrain. «  C'est la première fois que j’entends un poney chanter devant moi !  Ta voix est juste splendide !»

Je m'approchais de lui, toute excitée comme une véritable fangirl, en agitant les bras dans tous les sens.

« - S'il te plait ! Chante-moi une autre chanson ! S'teu plait, s'teu plait, s'teu plaiiiiit ! »